Aînés et cancer : « On peut mieux faire ! », selon Dr Sophie Pilleron, chercheuse au LIH

05/11/24 | Actualité

Un homme tient un ruban bleu

La docteure Sophie Pilleron, responsable de l’unité de recherche Ageing, Cancer, and Disparities (ACADI) au sein du Département de Santé de Précision du Luxembourg Institute of Health (LIH) a constaté que les personnes âgées ont plus de conséquences à la suite d’un cancer que les personnes plus jeunes. Alors que ses recherches se poursuivent, elle plaide pour le rapprochement de l’oncologie et de la gériatrie pour faire face à l’augmentation du nombre de personnes âgées atteintes de cancer.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Dijonnaise d’origine, je suis épidémiologiste de formation. J’ai fait ma thèse relativement tard. Elle portait sur les troubles cognitifs en Afrique centrale. J’ai accompli un postdoc sur la nutrition de la personne âgée et j’ai ensuite intégré le Centre international de recherche sur le cancer, à Lyon, qui est une agence de l’OMS. C’est là que je me suis spécialisée dans l’épidémiologie du cancer de la personne âgée, et que je me suis rendue compte que cette population était relativement sous-étudiée, alors qu’elle représente la majorité des personnes diagnostiquées et suivies pour cancer. Par la suite, j’ai obtenu une bourse européenne Marie S Curie, qui m’a permis de partir travailler une année en Nouvelle-Zélande et ensuite à Oxford, en Angleterre. Pendant cette période, j’ai décrit le risque de mortalité à la suite d’un cancer en fonction de l’âge et de différents facteurs.

L’équipe multidisciplinaire que j’ai créée en 2023 au LIH, grâce à la bourse ATTRACT du Fonds National de la Recherche au Luxembourg, se voue à améliorer les conséquences du cancer chez la personne âgée en s’intéressant à différentes étapes du parcours de soin.

Pourquoi chez les personnes âgées ? Ce n’est pas universel, le cancer ?

Le cancer peut toucher à n’importe quel âge. Cependant, les risques de cancer augmentent avec l’âge, qui est en fait le facteur de risque le plus important de cette maladie. Plus on vieillit, plus notre temps d’exposition à des facteurs de risque augmente. Par ailleurs, notre organisme perd aussi certaines capacités de protection avec l’âge. Tout cela fait que plus on vit longtemps, plus on a un risque élevé de développer un cancer.

Est-il faux de dire que plus on vieillit, moins les cellules sont aptes à propager rapidement le cancer ?

On lit effectivement parfois que les cancers sont plus agressifs chez les personnes jeunes, et moins chez les sujets plus âgés. C’est loin d’être une vérité absolue. C’est peut-être le cas pour certains cancers, mais pas pour tous. Il existe une multitude de cancers. Rien que le cancer du sein a de nombreuses formes. Les tumeurs n’ont pas les mêmes comportements. Par ailleurs, puisqu’on peut ne pas penser tout de suite à un cancer chez le sujet jeune, on peut avoir un délai de diagnostic plus long. On le détecte donc à un stade plus avancé, où la survie est moins bonne. Aussi, certains cancers, comme celui des poumons, peuvent prendre une trentaine d’années pour se développer. Le cancer peut commencer à se développer alors que l’on est âgé d’une trentaine d’années, et de n’être diagnostiqué que dans sa soixantaine.

Vous étudiez le cancer chez les personnes âgées… mais à quel âge est-on âgé ?

Cela dépend du contexte dans lequel on vit. Dans nos pays riches, on peut parler de personne âgée à partir de 70 -75 ans. C’est l’âge à partir duquel les gens commencent à développer plusieurs maladies, comme l’hypertension, les problèmes cardiaques et l’âge auquel leur corps commence à se fragiliser. Cela change la prise en charge du cancer. Un quinquagénaire qui n’a que son cancer comme pathologie sera soigné plus facilement. Quand les maladies se cumulent, il faut faire la part des choses. Au niveau mondial, on considère les plus de 65 ans quand on parle de personnes âgées. Ce seuil est plutôt à 60 ans en Afrique.

La docteure Sophie Pilleron, chercheuse au LIH

D’où est partie votre recherche actuelle ?

De la constatation que les personnes âgées n’ont pas bénéficié des avancées diagnostiques et thérapeutiques de la même façon que les personnes plus jeunes. Il y a plusieurs raisons à cela. Les personnes plus âgées ne sont généralement pas incluses dans les essais cliniques. Ces études sont faites essentiellement pour tester les médicaments. Mais comme on n’inclut guère les personnes âgées, qui représentent pourtant la plus grosse cohorte des patients des oncologues, ces essais donnent des résultats qui n’ont pas été testés chez les plus âgés. La multiplicité des pathologies peut être prétexte à cette non-inclusion. Mais les médecins peuvent également considérer qu’il ne faut pas proposer un essai clinique à une personne âgée, pour ne pas la fatiguer. La personne âgée peut aussi refuser certaines options de traitement, privilégiant leur qualité de vie et leur indépendance.

Donc vous constatez qu’on étudie moins le cancer chez les personnes âgées ?

Relativement aux autres classes d’âge, oui. Et à toutes les étapes : prévention, traitement et l’après cancer.

La prévention avant maladie (cancer, maladies cardio-vasculaires ou autres), ça se fait tout au long de la vie, en ayant une activité physique régulière, en faisant attention à son alimentation, en évitant l’alcool et le tabac. Cependant, ces recommandations sont souvent basées sur des études menées chez les personnes d’âge moyen.

En revanche, ce qu’on ne sait pas trop, c’est si ces comportements peuvent encore impacter le risque de cancer à un âge avancé (65 – 70 ans).

Je prépare un projet pour analyser les effets de l’activité physique sur les risques de cancer chez les personnes de 70 ans et plus. Nous devons encore obtenir le financement.

Comme on l’a déjà dit, les personnes âgées sont aussi sous-représentées dans les études qui évaluent l’efficacité des traitements, mais aussi dans celles qui s’intéressent à ceux qui ont survécu à un cancer.

Quelle méthode suivez-vous ?

J’ai décrit que les personnes âgées ont une survie inférieure aux personnes plus jeunes après un cancer, bien sûr en isolant les autres causes de mortalité ; des techniques permettent ces comparaisons. La question est de savoir pourquoi.

Une partie de l’explication vient du fait que certaines personnes âgées ne peuvent pas recevoir le même traitement que des personnes plus jeunes parce que leur état de santé est fragile, par exemple. Cependant, une étude à partir de données anglaises qui devraient être bientôt publiées a montré que même les personnes âgées considérées comme robustes auraient une moins bonne survie que les personnes robustes plus jeunes. Il reste à comprendre pourquoi c’est le cas. Les personnes âgées peuvent aussi demander à s’épargner les traitements et leurs effets indésirables.

Dans mon équipe, on a aussi l’expertise en méthode qualitative qui fait appel à l’analyse du contenu d’entretiens avec des participants. Dr India Pinker, chercheuse postdoctorale dans mon équipe, psychologue de formation, va étudier comment les informations sont partagées entre le médecin qui prescrit le traitement du cancer et le patient lorsqu’ils discutent des options de traitement pour essayer de voir s’il y a des choses dans la façon de communiquer qui diffèrent selon l’âge.

L’équipe va bientôt s’agrandir avec le recrutement de deux nouvelles chercheuses qui vont analyser des données médicales pour évaluer l’efficacité de certains traitements chez la personne âgée pour une, alors que la seconde va développer des modèles statistiques pour prédire le risque de toxicité suite au traitement entre autres chez les personnes âgées atteintes de cancer pour aider la prise de décision autour du traitement du cancer chez cette population.

Détecte-t-on moins les cancers chez les personnes âgées ?

Il existe des programmes de dépistage du cancer ou du cancer du colorectum dans beaucoup de pays, incluant le Luxembourg. Cependant, ces programmes ne concernent pas les personnes de 75 ans ou plus.

Après l’âge limite, c’est l’apparition de symptômes qui permettra de déceler le mal. Le diagnostic peut donc être plus tardif, et la maladie est donc plus difficile à traiter.

Gladys Langue, doctorante dans mon équipe, s’intéresse à savoir comment les médecins généralistes au Luxembourg pensent à un cancer quand la personne âgée en face d’eux présente des symptômes non spécifiques. La fatigue ou la perte de poids ne sont pas forcément liées au cancer. Comme une personne âgée présente souvent plusieurs maladies, il peut être plus difficile pour le médecin généraliste d’associer certains symptômes à un cancer. On en saura plus en 2026, terme de l’étude.

La prise en charge des plus âgés est-elle spécifique ?

Pour certaines personnes, oui !

Je suis une membre active de la Société Internationale d’Onco-Gériatrie (SIOG). Elle encourage à proposer le traitement le plus approprié aux personnes chez qui un cancer a été détecté, en fonction de leur état de santé, de leur éventuelle fragilité et de leurs souhaits. Des outils existent, comme l’évaluation gériatrique complète, qui évalue différents éléments, dont le statut nutritionnel de la personne, ses éventuels troubles cognitifs, ses capacités fonctionnelles, etc. Cela aide à guider et donc améliorer la prise en charge du cancer. Malheureusement, cette évaluation gériatrique n’est pas faite partout.

Pourquoi n’est-ce pas la règle ?

Peut-être parce que les spécialités de médecine n’ont pas toujours bien communiqué entre elles. Gériatrie et oncologie gagnent à être rapprochées. Les systèmes de santé sont aussi plus sous pression : moins de personnel, une population vieillissante, un besoin de plus de soins, alors que ces évaluations coûtent du temps et de l’argent et demandent une réorganisation du système. Cependant, cela a été réalisé avec succès dans certains pays. Différents modèles de soins existent en fonction des systèmes de santé des différents pays.

Par rapport à la détection du cancer, avez-vous un bon conseil à donner aux personnes âgées ou à ceux qui s’en occupent ?

Les nouvelles douleurs ne sont pas normales. Il faut en parler. Une perte de poids ou une fatigue accentuée qui survient alors que vous n’avez rien changé à votre mode de vie ne sont pas normales. Il faut aussi combattre l’âgisme de la part des personnes âgées elles-mêmes, mais aussi de la part du personnel de santé et de la société en général. L’âgisme peut se manifester par une minimisation des douleurs, les mettant sur le compte de l’âge, l’infantilisation de la personne, ou s’abstenir de lui proposer des options de traitement seulement sur la base de son âge chronologique et non pas de son état de santé.

De façon générale, il faudrait encourager les oncologues et les gériatres à discuter ensemble. Il existe des formations en oncogériatrie en ligne. Encourageons-les ! Demain, nous serons les personnes âgées. On n’y pense peut-être pas assez.

– – – – – – – – – – – – – – – – –

SERVIOR et la lutte contre le cancer : Priorités et actions

Chez SERVIOR, nous sommes évidemment concernés par cette maladie, principale cause de décès au Luxembourg. La prise en charge des personnes âgées, souvent confrontées à cette maladie, tout comme pour d’autres maladies repose sur une approche pluridisciplinaire intégrant les compétences variées de nos professionnels. Cette collaboration assure une qualité de soins adaptée aux besoins spécifiques de nos aînés.

En matière de prévention, SERVIOR incite ses résidents fumeurs à réduire leur consommation de tabac, bien que la dépendance soit un défi, surtout pour ceux ayant fumé pendant des décennies. De plus, le groupe adopte une philosophie alimentaire saine et goûteuse, favorisant les produits frais issus majoritairement de circuits courts et des repas variés et équilibrés, ce qui contribue à une meilleure hygiène de vie.

SERVIOR s’engage également dans des initiatives communautaires, telles que le relais pour la vie et la participation à la campagne Octobre Rose, visant à sensibiliser et à soutenir la lutte contre le cancer du sein. Ces actions illustrent l’engagement de SERVIOR envers la santé de ses résidents et la lutte contre cette maladie.