Témoigner tant qu’il est temps
Comment vivaient nos grands-parents ? Que faisaient nos arrière-grands-parents ? Quels étaient, tout simplement, leur nom, leur origine ? À chaque aîné qui disparaît, c’est une partie de la mémoire collective qui s’efface. Qui prend le temps d’évoquer avec papy l’école de son enfance ? Qui parle avec mamy de cette époque où la femme avait encore tout à conquérir ? Quand l’aîné disparaît, il est trop tard.
Certains ont pris conscience de ce vide, entretenu passivement par les plus jeunes générations. Un service club luxembourgeois a même tenté de développer l’expérience de façon systématique, mais l’auteur du projet a été contrarié par le Covid et ses restrictions. Mais que ce soit de façon formelle, lors d’un entretien enregistré en vidéo, ou de manière informelle, grâce à une conversation à bâtons rompus, les bénéfices sont importants.
Une passerelle pour les traditions
L’expérience est capitale, instructive, enrichissante. Certains petits musées de terroir la pratiquent, en Belgique ou en France, pour documenter la vie rurale d’autre fois. En recueillant les expériences des personnes âgées, on s’assure que leur vécu ne soit pas oublié. C’est un moyen de lutter contre l’oubli des événements importants et des leçons du passé. Les témoignages oraux sont des ressources inestimables pour les chercheurs, qu’ils soient historiens, anthropologues ou sociologues. Les personnes âgées sont souvent les gardiennes de traditions, de coutumes, de savoir-faire et de récits qui peuvent se perdre avec le temps. Leur témoignage aide à maintenir ces éléments culturels vivants pour les générations futures.
Important aussi pour celui ou celle qui témoigne
Recueillir le témoignage de nos aînés sur leur vie ne présente pas que des intérêts du point de vue collectif. Pour la personne elle-même, éventuellement confrontée progressivement à des troubles cognitifs, cet exercice de recension peut être un bon moyen de faire fonctionner sa mémoire, et pas seulement en subir les souvenirs marquants. En corollaire, l’exercice ne procurera jamais un résultat parfait : les biais existent et peuvent être importants. Celui qui interroge doit en tenir compte, dans le respect total de la personne : les souvenirs reformulés, c’est sa réalité actuelle, qu’il ne faut pas contester.
Avec le temps, certaines expériences peuvent être oubliées ou déformées. Les souvenirs de différentes périodes peuvent se mélanger. Les émotions ressenties au moment des événements ou au moment de la remémoration peuvent influencer la manière dont les souvenirs sont rapportés. Les événements traumatiques, en particulier, peuvent être déformés par des mécanismes de défense psychologiques. Une personne peut aussi intégrer des éléments entendus de la part d’autres personnes, de médias ou de récits historiques dans ses propres souvenirs. Le besoin de ne pas déplaire à la famille ou de plaire à la personne qui interroge sont aussi à considérer.
En somme, recueillir les témoignages des personnes âgées est une démarche riche de sens et de bénéfices. Cela permet non seulement de préserver une partie essentielle de la mémoire collective, en particulier familiale, mais aussi de renforcer les liens sociaux et intergénérationnels, tout en offrant des ressources précieuses pour l’histoire. Pensons-y lors des instants précieux qu’on peut passer ensemble.
Des souvenirs au jour le jour
Chez SERVIOR, l’histoire de nos résidents intéresse particulièrement le personnel d’encadrement. Apprendre à mieux se connaître est l’allié d’une prise en charge harmonieuse et permet d’instaurer une relation solide… sans intrusion dans la bulle privée de nos aînés. Chaque personne est détentrice d’un riche vécu, qu’il est bon de pouvoir partager.
Henriette Dichter, qui ne compte pas les heures de bénévolat qu’elle consacre à notre maison des aînés de Luxembourg, Op der Rhum, est une de ces passeuses de mémoire. Lors des animations qu’elle vient donner régulièrement, en compagnie de son chien Lilly, elle parcourt photos, chansons, souvenirs… en album ou sur internet. Détentrice de la mémoire du Rham, elle qui y a travaillé 20 ans comme infirmière, elle a compris à quel point il était important d’immortaliser les bons moments. Les familles lui en sont reconnaissantes. « Quand les proches ont pu voir à quel point leurs parents étaient heureux lors des animations ou des sorties, une autre relation s’est installée. Et pour les résidents eux-mêmes, surtout ceux qui ont des problèmes de mémoire, se revoir lors d’une activité, c’est un peu la vivre une seconde fois. »