Faire d’une crise une opportunité : la recette est connue. Et pourtant, quand se matérialise le résultat de cette opération, ou même philosophie, il est difficile d’afficher un air blasé. Tant la ministre de la Famille Corinne Cahen que les responsables de SERVIOR et les familles des résidents avaient les yeux pétillants le 16 juillet, à l’issue du spectacle proposé par l’équipe animation autour de la pièce « Déi 5 Villercher ». Une performance artistique enlevée, un décor féérique et des costumes chatoyants : ce jour-là, le centre du Rham soldait son compte, en musique, avec les deux premières années de Covid-19. C’est en effet pendant le confinement qu’est née l’idée de produire ce spectacle, résultat d’une foule de contributions individuelles suscitées par la mise en œuvre de la distanciation et des gestes barrières. Toutes les pièces du puzzle ainsi rassemblées donnaient un ensemble cohérent et entraînant, validant le slogan final « Ensemble, nous sommes plus forts ».
Ensemble, plus forts
L’allégorie servant de base au spectacle n’est rien d’autre que l’exaltation de l’esprit d’équipe, et le rejet de l’individualisme. Robert Bodja est un peu le maître de musique du Rham. Désolé, au début du confinement, de ne plus pouvoir animer la chorale du gospel et de laisser les djembés au rencart, il repense à ce conte africain qu’il avait mis en scène avec des enfants. L’histoire « Das Lied der bunten Vögel », issue de la tradition du continent, avait été mise sur papier en Allemagne par l’auteur Kobnan Anan. Elle raconte la vie d’un couple de fermiers nourrissant un groupe d’oiseaux en échange de leurs beaux chants. Mais progressivement, la concorde se rompt parmi les volatiles, et ils tentent tous individuellement d’obtenir le maximum pour se rassasier. C’est l’échec : pris seul à seul, les volatiles sont inaudibles, au point qu’ils se font chasser par les fermiers, qui ne reconnaissent pas les belles harmonies d’avant. Quand, tiraillés par la faim, ils retrouvent l’esprit de groupe, les choses redeviennent comme avant : le bonheur renaît de la communauté et de l’harmonie de ses voix.
Maintenir les liens à tout prix
« Pendant la pandémie, nous avons cherché à garder le contact, même s’il fallait faire les choses autrement, explique Robert Bodja. On ne pouvait plus chanter ? On a regardé ensemble des vidéos de chant. Quand j’ai repensé au conte des oiseaux chanteurs, je l’ai adapté pour des seniors. Et j’y ai ajouté des chansons en luxembourgeois. J’ai fait une réunion pour montrer ce que j’avais réalisé avec les enfants, et ce que nous pouvions faire ensemble. La philosophie, c’était de recréer du lien entre les gens. On se voyait en susurrant, puisqu’on ne pouvait pas chanter.»
L’éducateur n’a qu’une ligne conductrice : « Tout ce qui peut donner vie à la maison du Rham ». De quoi combler Pia Hoffmann, Chef de service Animation, qui s’est investie à fond dans le projet, comme Nadia Reuter et toutes les équipes du Rham. Le projet a réellement fait boule de neige. De répétitions en tout petit comité à la reprise des contacts à plus grande échelle, le centre du Rham est progressivement sorti de sa léthargie artistique. La chorégraphie sur l’air de « Jerusalema » marquait un moment clé dans la sortie de crise.
Force est de constater que, malgré les apparences de repli dues aux restrictions sanitaires, une énergie énorme a été déployée tous les jours pour assurer l’animation et susciter l’intérêt des résidents. Si confinement il y a eu, c’était uniquement vis-à-vis de l’extérieur. L’imagination était au pouvoir pour mettre sur pied des activités multiples, dans le respect des règles en usage.
D’alertes nonagénaires
Pour le spectacle des oiseaux chanteurs, le casting s’est mis en place petit à petit. Valides et moins valides devaient avoir leur place. Avec, dans le rôle de la fermière, une pétillante Heng Krieps qui, du haut de ses 93 ans, n’hésite jamais à improviser et à titiller partenaires et public. Pour les rôles d’oiseaux, pas de jeunisme, au contraire : uniquement des alertes nonagénaires ! Pour compléter la liste, les joueurs habituels de djembé, et le groupe de danse et chorégraphies. Il manquait un pianiste de talent… et c’est le sort qui l’a fait tomber dans le chapeau du metteur en scène, à l’occasion de son installation dans la résidence : Michel Winter ne s’est pas fait prier pour se mettre au clavier.
Actrice née
Remuante en diable, Heng Krieps a pris à cœur d’apporter sa patte au texte. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle n’a pas un passé d’acteur, mais l’animation, ça la connaissait, dans les auberges de jeunesse qu’elle a exploitées. Elle retourne d’ailleurs chanter une fois par mois dans celle du Pfaffenthal. Cette femme dynamique, qui a subi l’offensive von Rundstedt, n’est pas de ceux qui subissent leur vie. « Au début, je n’y croyais pas, à cette pièce, avoue Heng Krieps. Mais, à force de m’y impliquer, je n’ai plus pu dire non. Ce spectacle, je le vois comme un conte de fées pour adultes », explique-t-elle, invitant la société à revenir beaucoup plus vers la nature.
« De façon générale, j’ai invité chacun à s’exprimer avec ses propres mots, explique Robert Bodja. Toutes les idées étaient les bienvenues ». Cette personnification du texte et des rôles est salutaire pour ceux qui craindraient un exercice de mémoire trop contraignant. Et ça marche ! Fluidité et rythme étaient au rendez-vous. Un tel projet a aussi pour vertu d’intégrer des personnes de toute conditions, quelles que soient leurs capacités cognitives. Apprendre ensemble, s’aider, progresser selon ses capacités propres : rien de tel pour se sentir valorisé et avoir confiance en soi.
Un envoûtant balafon
Ajoutez-y un décor coloré et des costumes venus droit du Togo… mais aussi le son envoûtant du balafon. Cet instrument de musique importé d’Afrique ressemble à un xylophone, mais il n’en a pas les sonorités métalliques. La tradition veut qu’il soit fabriqué à partir du bois d’un arbre frappé par la foudre. Le son des lames en bois percutées avec des baguettes est amplifié par des calebasses disposées en dessous. Résultat : une musique chaude et tropicale, qui cadre parfaitement avec le l’environnement boisé.
Rien de tel que la musique et l’expression artistique pour renouer les liens entre personnel et pensionnaires. Une gageure réussie par toute la communauté du centre du Rham !