Les maisons des aînés ne peuvent pas ignorer une réalité : la plupart de nos résidents finiront leurs jours chez nous, dans leur logement. C’est logique et c’est normal. Et pourtant, la fin de vie et son accompagnement n’ont pas toujours été envisagés de manière structurée. Grâce aux soins palliatifs, grâce à une professionnalisation de la prise en charge des personnes en fin de vie, cette période délicate s’apaise, tant pour les personnes concernées et leur famille que pour le personnel soignant. Grâce notamment à l’association Oméga, SERVIOR peut offrir désormais un accompagnement humain de qualité à ce stade ultime.
Carine Balthazart, gouvernante de notre maison Op der Léier à Esch-sur-Alzette témoigne à propos de cette formidable évolution, qui a transformé son métier d’infirmière.
Comment vous êtes-vous formée aux soins palliatifs ?
J’ai fait avec Omega l’« Approfondissement en soins palliatifs », une formation de 180 heures qui se déroule sur un an et demi. J’ai participé à des conférences sur les soins palliatifs chez la personne âgée, la prise en charge de la douleur… tout ce qui se rapportait à la discipline. SERVIOR propose aussi des formations de sensibilisation de sur plusieurs journées, auxquelles les soignants sont encouragés à participer activement. L’approche de soins palliatifs développée dans notre maison a fait l’objet de formations en interne.
Ce besoin d’être plus impliquée dans les soins palliatifs fait partie d’un cheminement personnel. Je voulais savoir comment améliorer notre prise en charge et comment apporter beaucoup plus de qualité dans l’accompagnement des personnes âgées en fin de vie.
Y a-t-il eu un déclencheur particulier ?
Par le passé, bien avant notre collaboration avec Omega et ma formation, j’éprouvais d’énormes frustrations, liées notamment au fait qu’on ne voulait pas reconnaître quand la personne est en fin de vie. Je me sentais dans l’obligation de faire des soins qui allaient vers le curatif, alors qu’on savait très bien, par expérience, que la personne concernée n’en voulait plus. J’entendais aussi les familles se dire « c’est long, c’est dur, je vois mon père ou ma mère souffrir ». Ce manque de cohésion dans la prise ne charge me mettait mal à l’aise. J’ai toujours estimé que cette absence de reconnaissance de la faiblesse d’une personne conduisait à la dépersonnaliser, la déshumaniser en ne reconnaissant pas son état. Les médecins, formés à soigner, empruntent parfois trop la voie d’une impossible guérison. Certaines familles sont parfois dans le déni, souvent par manque d’information ou de sensibilisation. Elles éprouvent aussi la peur d’un « abandon thérapeutique ».
Comment détermine-t-on qu’une personne est concernée par une prise en charge spécifique ?
Notre travail consiste surtout à dépister, grâce à des outils d’évaluation, l’entrée en phase palliative, et à inviter les familles et les médecins à considérer cette évolution. Surtout, expliquer aux familles que, désormais, il y a énormément de choses qui sont à mettre en place pour améliorer la qualité de vie de leur parent. La prise en charge de la douleur est au centre du processus ; ça peut être une souffrance physique, mais aussi morale et spirituelle, à l’idée de se dire « je vais abandonner mes enfants, je vais quitter ce monde ». On ne soigne pas qu’un corps physique, mais aussi tout l’environnement.
A vous entendre, l’accompagnement des proches n’est pas le moins important.
Oui, nous nous occupons autant des familles que de nos résidents. Les gens ont besoin que leur famille les accompagne. Travailler assez tôt avec elles permet des cheminements très harmonieux. Quand un nouveau résident arrive dans notre maison d’Esch-sur-Alzette, par exemple, on établit dans les trente jours une « directive anticipée » leur donnant la possibilité d’exprimer leurs volontés par rapport à la fin de vie. Cela pourrait paraître choquant, mais nous mettons parallèlement l’accent sur tous les projets que ces personnes voudraient encore réaliser lors de leur séjour parmi nous.
Beaucoup de gens sont très rassurés de savoir que nous avons une bonne équipe de soins palliatifs. Même s’ils ne seront pas concernés avant plusieurs années, ils sont contents de savoir qu’ils seront bien pris en charge. La motivation personnelle est un ingrédient essentiel à l’entrée dans cette discipline. Il faut des gens qui s’investissent. Nous avons des expert(e)s dont les techniques d’intervention, par exemple lors d’une détresse respiratoire, sont aptes à rassurer le personnel. Cela crée une sorte de sérénité. A Esch, nous sommes six dans l’équipe, plus quatre ou cinq personnes en complément. Je pars bientôt à la retraite, avec la satisfaction de quitter une équipe très compétente.
Quelle est la population concernée au sein de votre maison ?
A Op der Léier, sur 168 résidents, nous accompagnons une moyenne de huit personnes en soins palliatifs. Cela ne veut pas dire qu’elles sont à l’article de la mort. On en croise à la cafétéria, au restaurant. Il faut faire la différence entre « soins palliatifs », une période qui peut durer un an, et « fin de vie ». Souvent, les personnes dont nous nous occupons nous disent : « Je suis prêt(e) à partir. Et je veux partir.» Cela ne les empêche pas d’exprimer leur crainte, car elles ne savent pas ce qu’il y aura après. Le fait de pouvoir en parler, ça les aide énormément.
On pourrait considérer que nos résidents, dont la moyenne d’âge est de 88 ans, sont tous en soins palliatifs, puisque tous sont atteints de maladies incurables. Pour certains, le cumul de pathologies raccourcit le pronostic de vie. Le statut de « soins palliatifs » accordé par la caisse de maladie donne accès à certains médicaments, qui sont refusés autrement. Il permet également des prestations individuelles en chambre, par des ergothérapeutes, kinésithérapeutes… Si, au bout du parcours, une sédation palliative est d’application, le statut donne droit à des produits réservés autrement aux hôpitaux. Des membres du personnel font aussi profiter les patients de leurs talents propres ; certaines prennent du temps pour aller chanter dans leur chambre, d’autres se sont formés à des techniques de relaxation.
C’est vraiment le travail de tous ?
Oui ! Le service de restauration nous aide également : certaines personnes en fin de vie ont le dégoût de certains aliments. En adaptant leur alimentation, on parvient à les gâter. Et s’ils veulent du champagne, on ira chercher une coupe !
Il y a eu des demandes d’euthanasie, mais jamais aucune n’a été pratiquée chez nous finalement. Ce recours est envisagé quand on ne reconnaît pas les douleurs de la personne, que celle-ci n’en peut plus de cette vie. A partir du moment où la personne est prise en charge dans sa globalité, qu’on lui assure qu’on ne va plus faire des soins inutiles, qu’on ne va plus les envoyer dans les hôpitaux, souvent les gens renoncent à cette option.
Est-ce une charge plus lourde pour le personnel soignant ?
Ce travail n’est pas plus lourd pour un(e) soignant(e). On rit beaucoup ici. On a beaucoup de moments d’échange et de joie. On a des échanges plus affectifs, on se prend dans les bras, se donne la main, s’assoit et parle. Quand on a pu accompagner une personne sans qu’elle souffre et qu’elle a pu rester sereine, c’est difficile à décrire. Il y a de la satisfaction, le sentiment du devoir accompli. La période Covid a été lourde, oui, parce qu’on n’a pas pu les accompagner normalement ; c’est la chose la plus terrible que j’ai connue durant toute ma carrière. Au terme d’un parcours, on est encore plus conscient(e)s que la mort ne doit pas être médicalisée dans le but de prolonger la vie à tout prix. La finitude existe, il faut l’accepter, et faire en sorte que le moment soit le plus agréable. Avant, j’ai vu des gens agoniser dans la douleur pendant des jours entiers. C’est cette expérience qui m’a vraiment donné envie de m’investir dans les soins palliatifs pour ne plus jamais connaître cela. Et, franchement, ça n’existe plus ! On a encore un peu de résistance dans le corps médical, mais c’est devenu presque anecdotique. Les médecins, à leur tour, commencent à suivre les formations chez Omega.